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L’ONU et les langues minoritaires

Le système des Nations Unies aborde les questions linguistiques sous différentes facettes.


Par Thierry KRANZER


Vue d'une salle de conférence lors d'une réunion de l'ONU.
Des diplomates des 193 Etats Membres de l'ONU réunis au Siège de l'Organisation, à New York. Photo : Matthew TenBruggencate / Unsplash


L’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) plaide en faveur d’une éducation dans la langue maternelle dès le plus jeune âge en raison de son importance en termes de création des bases solides de l’apprentissage : l’utilisation de la langue maternelle par les jeunes enfants à la maison ou dans le pré-primaire les prépare à une acquisition de l’alphabétisation sans difficultés dans leur langue maternelle et, ensuite, à l'acquisition d’une seconde langue (nationale), à un stade ultérieur de leur scolarisation.


Par éducation bilingue ou multilingue, l’UNESCO entend « l’emploi de deux langues ou plus comme vecteurs d’enseignement ». L’Organisation a adopté le terme éducation multilingue en 1999 pour faire référence à l’emploi d’au moins trois langues dans le milieu scolaire : la langue maternelle, une langue régionale ou nationale et une langue internationale.


L’importance de l’éducation dans la langue maternelle pendant les premières années de scolarisation est soulignée dans les constatations d’études, de recherches et de rapports, tels que le Rapport mondial de suivi sur l’Éducation (GEM) publié annuellement par l’UNESCO. L’UNESCO encourage les approches bilingues ou multilingues dans l’enseignement basées sur l’utilisation de la langue maternelle – facteur important d’intégration dans l’enseignement et gage d’une éducation de qualité. Les recherches menées dans ce domaine montrent qu’elles ont un impact positif sur l’apprentissage et ses résultats.



Le rapport du 7 mars 2005


L’Instance permanente des questions autochtones, sous les auspices du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), a publié le 7 mars 2005 un rapport sans précédent démontrant que la qualité de l’éducation en primaire était proportionnelle au niveau d’immersion en langue minoritaire.


Dans ce rapport de 21 pages on peut noter que  : " Les modèles éducatifs appliqués aux enfants appartenant à des minorités, qui utilisent essentiellement les langues dominantes ont des conséquences tout à fait négatives au regard du droit à l’éducation. L’enseignement bilingue utilisant essentiellement la langue régionale ou minoritaire comme vecteur produit des résultats supérieurs à toutes les autres méthodes d’enseignement, s’agissant de l’alphabétisation et de l’acquisition de connaissances en général, et favorise « l’épanouissement de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ».   




Le Comité des droits de l’Homme et les droits linguistiques


Si aucune instance de l’ONU ne s’occupe spécifiquement de questions des droits linguistiques, plusieurs questions relatives au droit de l’homme ont couvert ces dernières années les questions linguistiques, en rappelant que les droits linguistiques étaient des droits de l’homme.


Lors d’une plainte déposée en 1997, le Comité des droits de l’Homme de l'ONU a estimé, tout en notant que la Namibie n’avait qu’une seule langue officielle (l’anglais), que l’existence d’une circulaire visant à empêcher l’emploi de l’afrikaans dans les communications avec les autorités faisait en sorte que les personnes de langue afrikaans sont victimes de violations de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (droit à l’égalité, interdiction de discrimination fondée sur la langue) :


Article 26
Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Preuve que les droits de l’Homme au niveau international peuvent avoir un impact sur toute politique linguistique. Le fait qu’un Etat n’ait qu’une langue officielle n’empêche pas qu’il organise des services dans la langue d’une minorité parce que leur nombre le justifie.


2008, année internationale de la langue


Le 16 mai 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé 2008 Année internationale des langues. Les questions de langue étant au cœur du mandat de l’UNESCO dans les domaines de l’éducation, des sciences, des sciences humaines et sociales, de la culture ainsi que de la communication et de l’information, l’Organisation a été nommée organisme chef de file pour la célébration de cet événement.


Pour célébrer l’Année internationale des langues, l’UNESCO a invité les gouvernements, les organismes des Nations Unies, les organisations de la société civile, les institutions éducatives, les associations professionnelles et toutes les autres parties prenantes à multiplier leurs activités propres afin de promouvoir et protéger toutes les langues, particulièrement les langues en danger, dans toutes les situations de la vie individuelle et collective.


La Conférence internationale sur les langues, 5-6 juin 2014 à Suzhou (Chine)


Les participants à la Conférence internationale sur les langues organisée du 5 au 6 juin 2014 à Suzhou, en Chine, ont convenu qu’un enseignement des langues de qualité était le moyen le plus efficace d’améliorer les compétences linguistiques.


Les participants à cette conférence ont noté que l’immersion linguistique permet le développement des compétences linguistiques dans différentes langues peut également favoriser la compréhension mutuelle et la coexistence pacifique entre les peuples. L’instruction dans la langue minoritaire est indispensable pour améliorer les résultats scolaires et renforcer l’identité, il faut continuer de dispenser une éducation axée sur la langue maternelle au moins pendant le cycle primaire. Des politiques et des pratiques linguistiques qui répondent aux besoins des communautés nationales, autochtones et immigrées peuvent améliorer l’efficacité de la communication en vue d’une coexistence pacifique au sein d’une société mondiale.


La Décennie des langues autochtones 2022-2032


En février 2020, les participants à l'événement de haut niveau « Lancer une décennie d’action pour les langues autochtones » ont publié, le 28 février, une feuille de route stratégique pour la Décennie des langues autochtones (2022-2032) qui donne la priorité à l'autonomisation de leurs utilisateurs.


Plus de 500 participants de 50 pays, dont des ministres, des dirigeants autochtones, des chercheurs, des partenaires publics et privés et d'autres parties prenantes et experts, ont adopté la Déclaration de Los Pinos, à l'issue de cet événement de deux jours, organisé à Mexico par l'UNESCO et le Mexique.


La Déclaration place les peuples autochtones au centre de ses recommandations sous le slogan "Rien pour nous sans nous".


La Déclaration de Los Pinos, conçue pour inspirer un plan d'action mondial pour la Décennie, appelle à la mise en œuvre des droits internationalement reconnus des peuples autochtones, exprimés notamment dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 et le Plan d'action de 2017 visant à garantir l’unité de l’action à l'échelle du système des Nations unies menée pour réaliser les objectifs définis dans la Déclaration de 2007. D'autres instruments normatifs sont invoqués tels que la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement (1960), la Convention internationale des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), ainsi que les deux pactes internationaux de 1966 relatifs d’une part aux droits civils et politiques et d’autre part aux droits économiques, sociaux et culturels.


Dans ses recommandations stratégiques pour la Décennie, la Déclaration de Los Pinos souligne les droits des peuples autochtones à la liberté d'expression, à l'éducation dans leur langue maternelle et à la participation à la vie publique en utilisant leurs langues, comme conditions préalables à la survie des langues autochtones dont beaucoup sont actuellement au bord de l'extinction. En ce qui concerne la participation à la vie publique, la Déclaration souligne l'importance de permettre l'utilisation des langues vernaculaires dans les systèmes judiciaires, les médias, le travail et les programmes de santé. Elle souligne également le potentiel des technologies numériques pour soutenir l'utilisation et la préservation de ces langues.


S'appuyant sur les enseignements tirés de l'Année internationale des langues autochtones (2019), la Déclaration reconnaît l'importance de ces langues pour la cohésion et l'inclusion sociales, les droits culturels, la santé et la justice. Elle souligne leur pertinence pour le développement durable et la préservation de la biodiversité car elles maintiennent des connaissances anciennes et traditionnelles reliant l'humanité à la nature.


Enfin en 2022 a été adopté la première Décennie (2022-2032) des langues autochtones.


" Les variantes dialectales devraient être autorisées en milieu scolaire car une standardisation excessive peut nuire à la préservation des langues en danger et à l’écologie linguistique" est la 10è recommandation d’un rapport (1) de l’ONU que devrait avaliser au mois de juillet par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Présentée à l’ouverture de la 21è session annuelle de l'Instance permanente de l'ONU sur les questions le lundi 25 avril, cette proposition intervient en marge du lancement de la première Décennie des Nations Unies sur les langues autochtones.


L’ECOSOC a ainsi, au mois de juillet 2022, recommandé (2) à l’UNESCO et à ses États membres d’entamer des travaux sur les données relatives aux langues autochtones, en prévoyant un financement suffisant pour contribuer aux priorités pour l’après-2030 et de recueillir des données sur les langues autochtones à l’échelle mondiale. Ces textes reconnaissent le rôle fondamental joué par les peuples autochtones dans le lancement d’initiatives comme la déclaration d’une décennie de la langue chouanon et la création d’un programme d’immersion linguistique par la tribu des Chaouanons, ainsi que l’initiative de la Nation Cherokee visant à créer un centre dédié à la langue cherokee. Le rapport note aussi l’initiative des Nganassanes et des Enets de la péninsule de Taïmyr pour créer des foyers de revitalisation linguistique afin de favoriser une immersion précoce, reprenant la méthode utilisée pour revitaliser les langues maorie, hawaïenne, carélienne et same d’Inari.


Par ces rapport, l’ECOSOC invite l’UNESCO et son forum des commissions nationales, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), en collaboration avec des experts et des représentants issus de peuples autochtones, à créer un incubateur de méthodologies internationales en matière d’éducation multilingue, y compris des études sur les meilleures pratiques de revitalisation des langues, la formation des enseignants et les outils d’apprentissage interculturel d’ici à 2025.


Enfin, le Conseil économique et social de l’ONU, par ces textes, appelle aussi les États Membres à développer les écoles et les programmes d’immersion en langue autochtone et les écoles bilingues afin d’aider les jeunes autochtones à se réapproprier leurs langues et d’intégrer dans les programmes scolaires nationaux une éducation interculturelle et bilingue, y compris dans le cadre de programmes d’immersion linguistique, et de veiller à ce que la langue de la région ou de la zone infranationale dans laquelle se trouve l’école fasse partie des programmes.


(1) rapport E/C.19/2022/10 du 22 février 2022

(2) Rapport E/C.19/2022/L.4/Rev.1




Les données actuelles indiquent qu'au moins 40% des 7 000 langues utilisées dans le monde sont plus ou moins menacées.

Bien qu'il soit difficile d'obtenir des chiffres fiables, les experts s'accordent à dire que les langues autochtones sont particulièrement vulnérables car nombre d'entre elles ne sont pas enseignées à l'école ou utilisées dans la sphère publique.


Un enfant au milieu d'une rivière dans la forêt.
Visuel de l'Année internationale des langues autochtones (2019) - IYIL2019 – Infographies

D'autres données statistiques sont disponibles dans l'Atlas des langues de l'UNESCO, qui comprend une base de données sur pratiquement toutes les langues humaines, ainsi que dans le Guide pratique pour la mise en œuvre des droits linguistiques des minorités linguistiques.



 

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