top of page
Rechercher

« À l’école régnait une dictature du français "




Un texte d'une force rare s'agissant de la conscience linguistique alsacienne dont nous avons extrait les passages les plus poignants

r

« À l’école règnait une dictature du français qui était aussi anti-allemande qu’hostile au dialecte alsacien (…) Quand on glisse tout d’un coup à cinq ans d’un idiome que l’on parle naturellement dès la première enfance à une autre langue, qui vous aliène à votre entourage protecteur et familier, tout l’acquis est nié, l’existence remise en question, l’univers familial remplacé par un monde sonore et symbolique absolument étranger. (..) Marqués au fer rouge du dépaysement linguistique, et flagellés d’orties, nous subîmes à notre corps défendant une initiation à l’exil, au sein même de notre pays natal. La pratique honteuse des autorités était de dévaluer le dialecte dans l’âme des enfants, les forçant à se renier au cœur de leur être profond  (…) Une petite erreur du destin aveugle nous avait fait grandir dialectophone ; c’était comme si nous étions nés idiots, bossus, bègue ou boiteux.  Nous étions au départ des infirmes linguistiques.  Ce n’était jamais dit de façon nette et claire par les autorités en place, mais nous le sentions bien ainsi, nous, les mal foutus de la parole ! » peut-on lire en page 30 du recueil « Claude Vigée, un témoignage alsacien », Éditions La Nuée Bleue, 2001 (Adrien FINCK)

 

 

EN page 34 il poursuit : « Il fallait pour transcender le dilemme de l’automutilation ou  de l’impuissance créatrice, engendrer en moi un nouvel  être de langage, c’est –à-dire devenir poète.  Dans le défilé où je me sentais coincé, me forger un instrument d’expression linguistique était une question de survie, une nécessité intime absolue »

« Est-ce sous la menace d’un étouffement perpétuel que s’épanouit (ou dépérit) en nous l’être secret de la parole ? Tels sont les avantages du pire, La psychologie parle en un sens analogue de surcompensation."  « Les Alsaciens ont été victimes aussi bien que complices d’une expropriation spirituelle, linguistique et culturelle.  Frustrés de leur substance propre et des moyens de la manifester à autrui, ils n’ont cessé d’être la proie de leur inexistence. Il est vrai qu’on ne leur donnait pas le choix. D’un côté du Rhin comme de l’autre, on leur a refusé le droit à un être personnel, à une vie intérieure originale et à son expression authentique. Alsaciens mes frères, nous sommes floués de naissance »  (…) mépriser la parole, c’est piétiner ce qu’il y a de plus sensible, de plus saint peut-être en toute créature. Voilà le sens profond du mal qu’on nous a fait dans notre enfance en Alsace.    

 

Page 36 : « Négation de soi, mutilation de sa propre identité psychique : ce phénomène nocif peut se comparer, à une échelle réduite bien sûr, au fameux selbtshass juif (…) À la vieille haine du soi judaïque en diaspora, correspondent, toutes proportions gardées, la négation et la mutilation de soi des Alsaciens au XXè siècle, qui se sont exercées avec une violence particulière dans l’ordre de la parole héritée de leurs propres parents ! »

« Je vais vous faire rire en vous disant qu’à mes yeux le dialecte alsacien recèle certaines qualité magiques que j’aime attribuer à l’hébreu. Il est bien plus puissant que nos plates langues véhiculaires de la culture internationale. Quelle différence de fond y a-t-il entre l’hébreu biblique et l’elsasserditsch ?

 

« Je trouve naturel et indispensable de parler l’alsacien en Alsace. Pourquoi ? Un être ne peut accomplir ce qu’il doit devenir qu’à partir de ce qu’il est. (…) Ce que l’alsacien cultivé devrait pouvoir faire – mais seulement à partir de son dialecte reconnu, admis, promu, célébré – c’est maîtriser également les langues de culture des deux grands peuples avoisinants. À partir de là, il pourra parler aux autres en égal, et surtout se parler à soi-même »  (page 39)

 

« J’ai été comme tous mes copains de jadis, intimidé, inhibé, découragé par l’interdit, lourd d’un mépris aussi malfaisant qu’imbécile, qui pesait sur notre idiome natal. Ainsi intoxiqués par les pouvoirs en place, nous sommes devenus peu à peu les complices de cela même qui nous entravait l’âme, et la laminait en douceur…Toutes nos générations poltronnes d’après 1920 ont ainsi contribué à accréditer en leur for intérieur le soupçon mortel jeté sur le dialecte familial par l’instance culturelle dominante.  Conséquence inéluctable de « l’enseignement du mépris », la contagion de la honte linguistique m’a atteint aussi dans les parties vives de l’être mental, qui en fut longtemps comme paralysé. Négation de soi, mutilation de sa propre identité psychique : ce phénomène nocif peut se comparer, à une échelle réduite bien sûr, au fameux selbtshass juif (…) fruit du dénigrement et du doute, qui ont rongé de l’intérieur l’identité juive dans les terres de diaspora hostiles.  (p 134)      

 

La maîtrise du dialecte alsacien est une clé merveilleuse pour l'acquisition de la langue allemande au niveau scolaire et universitaire. Museler le dialecte, y renoncer sottement, cette politique de l'autruche revient à s'interdire par la suite la conquête naturelle, et partant plus aisée, de l'espace littéraire et culturelle en Hochdeutsch, dont il n'est pas nécessaire, me semble-t-il de démontrer l'importance à l'échelle de l'Europe et du monde entier. C'est là une vérité d'évidence, il faudrait pour la nier, une mauvaise foi patente". p156

 

 Page 153 : "Le dialecte n'est une langue perdue qu'aux yeux de qui s'évertue à le perdre d'entrée de jeu; il est déjà mort au regard de celui qui la durement condamné d'avance à l'extinction finale - puisque tel est son bon plaisir, le désir caché de son âme... A ce refus catégorique opposé à la parole maternelle reniée, on ne peut répondre honnêtement que par l'option inverse : en pariant, contre toute apparence raisonnable, que la vie prendra le dessus malgré tout, victorieuse à l'issue du combat inégal contre l'aphasie intérieure imposée, du dehors, à l'âme enfantine exilée loin d'elle même au cours de son incarnation d'adulte. "



En cliquant ici vous trouverez une merveilleuse page consacrée à Claude VIGEE

0 vue
bottom of page